Rapport moral 2024 de la Cress Bretagne
Depuis mon dernier rapport moral, il y a de cela un an, notre environnement politique et socio-économique a apporté peu d’évolutions positives pour faire face aux enjeux de notre humanité. En effet, la guerre continue de faire des ravages aux portes de l’Europe, les migrations pour raisons politiques, économiques, climatiques se développent donnant naissance à du rejet de l’autre - en témoignent les évènements que notamment les acteurs de l’ESS à Mayotte vivent quotidiennement - donnant naissance à de nouvelles règlementations liberticides, telle que la loi immigration en France. En Europe, les Élections européennes laissent à entendre l’expression de voix (voies) anti républicaines. Dans le domaine économique et ses conséquences environnementales, notre surconsommation ne cesse de s’accroître.
À titre d’exemple ; « Entre 2000 et 2014, la production de vêtements a doublé, et le consommateur moyen a commencé à en acheter 60% de plus pour les porter deux fois moins longtemps qu’auparavant. 60% des vêtements finissent dans des décharges ou des incinérateurs dans l’année qui suit leur production. Autrement dit l’équivalent d’un camion entier de vêtements usagés est jeté ou brûlé chaque seconde dans le monde. La plupart des sites destinés à recevoir ces déchets se situent en Asie du sud Est ou en Afrique, où les pays ne peuvent plus traiter des volumes aussi considérables. » (John BARTLETT, National Geographic, Avril 2024).
Il devient urgent de refonder la démocratie environnementale, comme le défend le dernier rapport du Haut Conseil à la Vie Associative.
Dans le domaine social, les inégalités s’accroissent toujours un peu plus. Une étude d’OXFAM d’avril 2024 nous révèle qu’un patron du CAC40 gagne en un an ce que son employé mettra 130 ans à percevoir. En 1979, un dirigeant gagnait 40 fois le SMIC, aujourd’hui le patron de carrefour gagne en 9 heures l’équivalent de ce que son salarié mettra un an à gagner. La « palme » est pour le PDG de Téléperformance, qui gagne 1400 fois le salaire de son employé.
Ce modèle économique est à contre-courant des urgences, besoins et nécessités pour le bonheur de notre société. « Indignez-vous » nous disait Stéphane HESSEL en 2010 ; ce message en 2024 reste tellement d’actualité.
Mais dans le même temps, un nombre important d’individus, d’entreprises font émerger de nouvelles pratiques respectueuses de l’humain et de son environnement, qui font vivre l’espoir d’un autre monde à venir.
Les acteurs de l’ESS, sous la présidence de Jérôme SADDIER, président d’ESS France, (que je salue ici pour son engagement et son travail au sein de la Chambre française de l’ESS), ont exprimé lors du congrès de l’ESS en 2021, leurs conceptions, valeurs et attentes, dans un document intitulé « Pour une république sociale et solidaire ; nos raisons d’agir »
« L’ESS est au cœur du contrat social et de l’idéal républicain. Avec ses associations, coopératives, mutuelles, fondations et entreprises toutes engagées pour la citoyenneté économique et sociale, elle contribue chaque jour à faire vivre sa promesse en donnant corps à la souveraineté des citoyens et de leurs représentants élus et à l’émancipation du peuple. Elle assure sa part de production de biens et de services, elle contribue à la solidarité, à la cohésion sociale et territoriale, elle innove et elle expérimente, elle éduque à la citoyenneté par l’engagement et irrigue l’esprit démocratique. Elle constitue en cela une authentique « économie populaire. »
Dans la suite de cette déclaration, le congrès à venir des 12 et 13 juin 2024 débouchera sur un manifeste prenant l’engagement d’objectifs précis, pour faire advenir une nouvelle Ere de l’ESS.
Nos concitoyen·ne·s ont désormais conscience que notre modèle économique dominant est à bout de souffle et délétère. Pour autant les métamorphoses à mettre en œuvre restent impossibles, tant la domination de l’économie de marché représente un horizon indépassable. Nous n’arrivons pas à sortir de l’imaginaire des 30 glorieuses selon lequel « plus est mieux ». En effet, si le lave-linge a permis de quitter le lavoir, la voiture de s’ouvrir à d’autres horizons…, il nous faut désormais construire ensemble un nouvel imaginaire, donner à voir la possibilité, l’intérêt et les atouts d’un autre monde.
Vous en êtes les acteurs et les actrices.
Cette nouvelle Ère de l’ESS, pour ma part, je l’imagine avec plus de lenteur, où nous chercherons moins à gagner du temps qu’à en donner. Moins d’individualisme et plus de rapports aux autres, une dimension collective dans tous les projets. Une ère où les mobilités seront plus douces, où chacun·e s’équipera sobrement de biens et de services durables, réparables, où nous pourrons nous nourrir avec des produits majoritairement issus d’une agriculture biologique ou tout du moins raisonnée. Une ère sans publicité. Une ère où se développeront plus aisément les rapports non monétaires que marchands. Une ère où nous pourrons nous loger tous sur nos territoires de vie à des tarifs ne grevant plus la moitié, voire plus, de nos ressources.
Soyons ensemble les ambassadeurs et les ambassadrices de ce nouveau modèle.
Dans ce chemin vers une nouvelle Ère, les Cress sont un maillon essentiel de l’accompagnement, du développement, de la promotion des liens sociaux et entrepreneuriaux.
Nous poursuivons notre engagement vers le développement de nouvelles filières économiques, nous travaillerons avec ESS France à faire entendre la nécessité d’exclure de l’économie de marché certains champs d’activités, tels que l’action sociale et médico-sociale.
En Bretagne nous avons la particularité de réaliser notre travail avec un collectif singulier constitué de pôles territoriaux, 19 au total, des idéateurs, incubateurs de projets par département (les TAgs), le CRIC.
Cet archipel travaille depuis deux ans à une nouvelle évolution pour développer sa capacité de mouvement politique collectif, pour offrir sur le territoire breton une offre de service, en direction des acteurs et porteur·euse·s de projets, harmonisée, pour offrir de bonnes conditions de travail aux professionnel·le·s de cet écosystème, pour améliorer auprès de nos financeurs la lisibilité de l’utilisation des fonds et l’optimisation de ceux-ci.
Pour ce faire, la Cress modifiera ses statuts pour associer largement l’ensemble des acteurs du collectif régional. Par ailleurs, cet archipel travaille en articulation avec un écosystème d’accompagnement plus large et avec les réseaux fédératifs essentiels au soutien et au développement de l’ESS.
En Bretagne, nous avons aussi la particularité d’un véritable travail en partenariat avec nos élu·e·s de la République ou leurs représentant·e·s. Je veux ici souligner l’engagement à nos côtés de la Région Bretagne, des services de la DREETS, de certains départements, intercommunalités qui sont nombreuses à être engagée pour faire advenir une Ere de l’ESS.
Notons également à ce stade l’engagement de Monsieur Maxime BADUEL, délégué ministériel à l’ESS, de travailler à développer les moyens dévolus aux Cress pour réaliser leurs missions prévues par la loi.
Cette loi ESS, première du genre, fête aujourd’hui ses 10 années tandis que le ministre de l’époque qui l’a portée, clin d’œil de l’histoire, deviendra le mois prochain le nouveau président de ESS France. Je salue ici Monsieur Benoît HAMON.
Je ne voudrais pas terminer sans remercier chaleureusement les adhérent·e·s et administrateur·rice·s de la Cress pour leur engagement et dévouement, le directeur Grégory HUCHON et toute son équipe pour leur forte implication et la qualité de leur travail.
Je vous remercie.
Michel Pier Jézéquel
Président de la Cress et Vice-président d'ESS France
Pour tout savoir sur le projet et les activités de la Cress > Téléchargez la Cress en action 2024
Illustration : Ewen Prigent - La Boîte Graphique