Les commerces ruraux ESS : une utopie à la croisée des chemins
En France, le déclin démographique de certaines zones rurales et l’implantation de moyennes et grandes surfaces autours des centralités ont entraîné la disparition de commerces en centre-bourg. Cela a mené à une diminution de l’offre de services en milieu rural, mais aussi à un affaiblissement du lien social - les cafés, restaurants et autres commerces de proximité étant vecteurs de sociabilisation et du mieux vivre ensemble. Face à ce constat, des collectifs d’habitants, quelques fois accompagnés par les pouvoirs publics locaux, ont décidé de se réunir pour créer de nouveaux espaces qui puissent répondre à leurs besoins.
Ces espaces, le plus souvent multi-activités (épicerie, bar, restaurant, salle de concert, espace de coworking, etc.), sont autant de lieux de rencontres, d’échanges et d’actions citoyennes autour de thématiques et d’enjeux variés (soutien des paysans par l’approvisionnement local, questionnements sur la mobilité, adaptation aux changements) qui participent de la résilience et durabilité de leurs territoires.
Un modèle hybride en recherche de reconnaissance et de stabilité
Les modèles socio-économiques de ces structures sont fondés sur une polysémie de la notion d’échange : économique et humain. Leur spécificité est, en ce sens, l’alliance d’une activité commerciale et la mise en œuvre d’un projet politique et social. Cela est rendu possible par l’association d’une gestion économique professionnalisée et d’une qualité de service à une gouvernance partagée et un investissement particulier dans la vie locale. La diversité des montages juridiques et fiscaux (statuts, code APE…) propre à chaque structure et à chaque territoire témoigne de la dichotomie entre production et intérêt public. Par exemple, si une épicerie se structure en coopérative pour incarner sa nature de mutualisation économique (groupement d’achat) et faciliter le pilotage de son activité marchande, elle n’aura pas accès à un certain nombre d’aides publiques (subventions, Fonjep, FDVA...). Si, au contraire, un restaurant se structure en association pour affirmer sa raison d’être sociale et son projet d’utilité publique, il aura accès à ces aides mais pourrait rencontrer certaines problématiques dans le pilotage de son activité commerciale et la montée en compétence de ses salarié·e·s.
Aujourd'hui, la faible appréhension de cette dualité et notamment de l'importance du rôle d'animation citoyenne joué par ces collectifs entraîne un manque de soutien de la part des pouvoirs publics (aide au fonctionnement, bail social, financement des actions d’animation sociale, etc.). Cette situation vient créer un déséquilibre économique qui éloigne ces habitants de leur projet et les pousse à se concentrer sur l’activité purement commerciale pour pérenniser leur structure. Les mairies et EPCI ont, en ceci, un rôle crucial à jouer dans la survie de ces initiatives qui sont actuellement en péril.
Des propositions concrètes à saisir
Il nous faut comprendre maintenant que chaque commerce ESS rural est un levier au bien vivre ensemble, à l’accessibilité aux services essentiels pour tous et à la résilience de nos territoires. Face à leurs difficultés, nous devons agir. C'est pourquoi nous attendons des pouvoirs publics qu'ils puissent prendre en considération :
- Le projet socio-politique de ces structures au-delà de leur dimension économique pour les soutenir et les aider à trouver des solutions adaptées à leurs enjeux ;
- Leur besoin d'appui pour se structurer en réseau afin de développer l’échange de pratiques et la mutualisation ;
- L’intérêt de l’innovation sociale, économique et juridique, notamment par l’intermédiaire de l’exploration collective de nouveaux modèles.
Le travail est déjà engagé : un partenariat entre le réseau des Cress et l’ANCT va être signé pour soutenir le travail d'accompagnement, à la création et consolidation de ces structures. En Bretagne, il sera notamment réalisé par les TAg et les pôles ESS, en articulation avec les collectivités territoriales. Et de manière plus structurante, il semble aussi nécessaire de mener collectivement une étude sur les divers montages juridiques et fiscaux pour identifier le ou les modèles les plus adaptés à leurs fonctionnements.
Les acteurs de l’ESS sont mobilisés et prêts à coconstruire des solutions pérennes avec les partenaires publics. Nous faisons appel à la mobilisation de toutes et tous pour participer à cette démarche et soutenir concrètement nos commerces (presque) comme les autres.
Cécile Goualle, membre du bureau et Jean-Yves Le Guen, administrateur de la Cress
Pour tout savoir sur le projet et les activités de la Cress > Téléchargez la Cress en action 2024
Illustration : Ewen Prigent - La Boîte Graphique